Le jour où j’ai eu honte d’être écrivain…

Il y a ceux qui assument pleinement survivre de leur art, au moins jusqu’à 25 ans, et puis il y a les autres.

Ceux qui n’ont jamais eu le bonheur de briller aux yeux du monde entier de se sentir valorisés par toute cette créativité, et en particulier par leur écriture.

Si vous avez déjà souri, hoché la tête, fait des ronds de jambes ou sauté autour de la table basse en lisant le début de l’article, vous êtes à la bonne page.

La découverte que oui, vous êtes un artiste !

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Dans une période que nous ne pourrons pas définir, vous avez eu cette vocation presque divine qui vous ordonnait d’être un créateur. Peut-être l’avez-vous découverte à 3 ans lorsque sur les bancs de la maternelle vos dessins avaient plus d’allure que les horribles bonhommes bâtons indéfinissables adorables petits personnages des autres camarades et que vos portraits à vous, eh bien ils se rapprochaient déjà plus de la Joconde !

Pour les littéraires, c’est au moment où CE livre vous est tombé des mains et que vous avez compris sans hésitation aucune (ou peut-être après quelques années d’indécision, à voir…) que vous aussi vous vouliez écrire une histoire MA-GNI-FIQUE qui ferait rêver la Terre entière, mais bien sûr avec plus d’élégance que celles dites trop commerciales, et qu’en plus vous en étiez capable. A l’époque, vous ne pensiez même pas encore à la célébrité et à l’appât du gain -si, si je vous assure, l’enfance a tellement de vertus !

Bref, ça y’est vous êtes quasiment certains de votre coup et vous répétez à tout va que : « Vous (Inclure prénom) vous serez un romancier(ère), quoi qu’il arrive, quoi que l’on vous fasse. Vous serez la voix d’une génération, la voix d’une Nation ! » Rien que ça !

Et puis c’est arrivé, vous avez écrit votre premier roman, et en plus il est vachement génial publié…

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Pourtant, avant de terminer votre sublime épopée garnie de licornes, d’orques, de vaisseaux spatiaux, de princesses ou tout simplement de gens normaux qui deviennent culcul bonbon en trouvant l’Ammmuuuur vivent de belles histoires, vous avez passé du temps à vous plonger dans votre roman. Vous en avez rêvé, vous avez choisi de créer des personnages qui deviendront plus que des noms sur du papier 80 g (90g c’est pour les VIP du roman). Vous les aimez comme votre progéniture, vous en êtes très fiers et vous le pouvez !

Vous n’avez donc pas d’inquiétudes quant à l’avenir et rien que cette idée manque de faire exploser votre fée intérieure. C’est évident, l’éditeur qui attend votre prochain roman se languit déjà, et puis, avouons-le vous avez une sacrée plume ! (Oui, c’est votre mamie Lisette qui l’a dit à toutes ses copines !) Pourquoi décrocher une interview pour Le Monde si mamie fait votre pub ? Hein, pourquoi ? Vous-même ne le savez pas…

Mais le grand moment pour vous, c’est celui-ci, et vous allez le vivre : Votre livre est publié (peu importe le procédé : autoédition, compte d’auteur, éditeur…c’est un autre sujet !) et vous voici déjà prêt à le dédicacer.

Vous êtes même surpris d’être déjà dans les articles de la presse locale, régionale et parfois nationale ! Vous êtes jeunes, beaux, intelligents, riches et vous vous demandez comment il est possible de retenir votre emplacement au Panthéon quand l’univers devra se séparer de vous.

Ce qui aiguise votre intérêt– le reste n’a aucune espèce d’importance pour vous, vous n’avez alors pas honte de le dire- c’est d’imaginer vos prochains ouvrages. Un roman d’amour ? Un policier ?  Un livre de fantaisie ? Oh oui, une saga victorienne !

Une mention particulière pour ceux qui écrivent des fictions historiques. Jane Austen c’est votre doppelgänger et Balzac votre parrain spirituel…Pour vous, raconter des histoires à un siècle qui n’est plus, c’est l’assurance de vivre un peu de ces moments que vous fantasmez.

Et vous réalisez que vous allez devoir vous accrocher pour faire reconnaître votre statut d’écrivain. Vous ne voulez pas écrire le dimanche par ennui, non, votre destin à vous c’est la littérature, la vraie, celle dont on se souviendra. Et vous n’aurez pas toujours vingt ans, alors il va falloir trouver une solution pour tenir le coup et vous affirmer.

Ai-je le droit d’être appelé « écrivain » ?

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Vous trouvez que la question est ridicule ? Mais elle se pose, et pour la plupart d’entre nous. A partir de quand peut-on se proclamer écrivain ? Si quelqu’un fait de la musique, il est musicien, est-ce que cela importe qu’il soit connu pour son art ? Un écrivain c’est pareil ?

Vous voici donc lancés dans l’univers impitoyable des auteurs. Vous courrez les salons avec plus ou moins de facilité, vous enchaînez en jet privé essayez péniblement de décrocher des dédicaces en librairie. Avoir déjà plusieurs livres à son actif aide beaucoup, oui, il faut vous faire un petit nom quand même.

Bref, pour vous il est évident que vous écrivez des livres donc que vous êtes écrivain. Qui peut remettre cela en doute ? Qui OSE le faire d’ailleurs ?

Malheureusement, vous allez rencontrer des gens complètement à côté de la plaque et frustrés qui ne partageront peut-être pas cette vision. Il y aura même plusieurs étapes dans votre profession d’écrivain, et pourtant la question que l’on vous posera sera toujours la même. Seule la réaction pourra varier.

A 20 ans : «Vous faites quoi dans la vie ? – Je suis écrivain. -Waouh ! Je peux lire ce que tu as fait ! Waouh, je suis impressionné ! ». A 25 ans : « Vous faites quoi dans la vie ? – Je suis écrivain. -Ah ! Et tu publies chez qui ? Tu fais des salons ? Moi aussi je voudrais écrire mon autobiographie, tu sais sur mon enfance et tout et tout… ». A 30 ans : « Vous faites quoi dans la vie ? -Je suis écrivain. -Et pour de vrai ? Enfin, vous avez pas un vrai travail à côté ? »

Ce sont ces incroyables réponses que vous recevrez à chaque fois et qui vous feront perdre le peu d’estime que vous aviez déjà réussi à sauver. Les réponses différentes de celles-ci seront vos succès, gardez-les précieusement.

Il y a de quoi en démoraliser plus d’un, je vous l’assure, et passé un certain temps, oui on a honte d’avouer ce que l’on a toujours été. Honte d’être un écrivain avant d’être un chirurgien, une assistante, une hôtesse, un professeur… (Choisir un métier respectable aux yeux de la société). Et on se morfond de ne pas avoir vendu 200 000 exemplaires de notre livre. La reconnaissance sociale nous échappe, c’est un échec.

Un écrivain est considéré comme un être marginal, pauvre, dépourvu d’ambition, dérangé, s’il n’est pas aussi grand que J.K Rowling, ou bien encensé par le cercle très privé de ses confrères (qui le détesteront quand même un peu, sait-on jamais au cas où il publierait quelque chose de mieux qu’eux au prochain Goncourt !). Pas de demi-mesure chez nos faiseurs d’histoires.

Il est donc important de définir tout cela une bonne fois pour toute. Un écrivain qui publie, et ce même s’il travaille à côté en espérant très très fort privilégier sa carrière littéraire, est un vrai écrivain.

Le quotidien calvaire permanent d’un écrivain et le bonheur de faire ce métier

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Vous parcourez les réseaux sociaux avec tous vos rivaux amis écrivains et vous soupirez toujours, cernée par les mêmes interrogations :

« Comment fait-il pour vendre autant ? Quoi ? Elle a rencontré Marcus Leroy-que je hais au plus profond de mon corps mais que j’aimerais croiser, histoire de dire que je suis un écrivain qui fait des mondanités ! (Mondanités = Célébrité = Gloire. C’est bien connu.) Pourquoi j’ai pas ça moi ? Pourquoi je suis nuuuuuuuuuuuuuuuul ? »

Ah, un nouveau Gontran Lasso ? Ah, une biographie d’un candidat de Real TV ou de joueur de foot qui peine à écrire son nom ? Chouette de la culture !

Oui, vous avez envie de vous enfermer dans une Vierge de fer rien qu’à l’idée que c’est la rentrée littéraire et que comme 97% des auteurs vous ne serez pas présents à La Grande Librairie, mais qu’eux y seront.

Vous ne comprenez pas qu’un mauvais roman soit un Best-Seller alors que le vôtre est tellement plus profond, tellement plus réfléchi… tellement plus remarquable quoi !

C’est tout simplement la vie, mes bichons.

Mais ce qui vous démarque, c’est votre volonté de vous battre tous les jours pour ne jamais regretter ce travail (qui se termine bien souvent en crise de larmes) que vous avez fait, la passion que vous avez mise dans votre littérature- l’unique amour de votre vie d’ailleurs, soyons honnêtes !

Et vous êtes nombreux à vous demander si un jour ce sera à votre tour d’exposer votre talent à la face du monde qui jusqu’ici s’en fout.

Pourtant, remettons les choses à leur place.

Vous n’avez pas choisi de devenir écrivain, vous l’êtes c’est tout, et cela va bien au-delà de tous les préjugés de ces incultes qui lisent des bouquins vomitifs, ces faux auteurs qui n’ont jamais écrit une ligne et qui vous jalousent d’avoir terminé une saga ceux qui ignorent à quel point c’est un beau métier.

Le jour où vous serez blasés d’écrire pour un éditeur, le jour où il n’y aura que l’appât du gain (car vous n’êtes plus un enfant!) et que votre récit ne vous transportera plus nulle part, posez-vous la question sur ce que vous cherchez.

Vous aimez raconter des histoires qui vous touchent pour offrir du plaisir à vos lecteurs, pour transmettre votre message, quitter un peu votre réalité. C’est votre raison d’exister et cela, personne ne peut le déprécier par un vulgaire « Et sinon, vous avez pas un vrai travail à côté ? ».

Moi, je suis fière de vous parce que vous n’avez pas lâché. Vous, petits auteurs, je suis fière de voir que quoi qu’il arrive, c’est votre besoin d’écrire qui vous relèvera toujours.

Un jour j’ai eu honte de dire que j’écrivais, maintenant, j’ai honte de l’avoir pensé et je ne veux pas que vous fassiez la même chose.

Et puis, qui sait, peut-être que votre roman bouleversera un lecteur dans cent ans comme vous l’avez été avant de devenir romancier (ère)…Et ce roman ne parlera pas d’un play-boy milliardaire vampirique qui aime le fouet, ce sera votre victoire !

5 commentaires sur « Le jour où j’ai eu honte d’être écrivain… »

  • Quand on me demande ce que je fais dans la vie, je réponds aussi que j’écris, même si je ne gagne pas ma vie avec. En réalité, j’ai 22 ans, je vis toujours chez mes parents je touche l’AAH à cause d’une très sévère dépression. Mais bon, voilà, ça ne se dit pas : « tu fais quoi dans la vie ?, « Rien, je suis en dépression sévère et je touche l’AAH »…
    Je crois que je préfère que les gens me jugent sur un métier dit « non conventionnel » plutôt que sur mes problèmes de santé…

  • Bravo pour ce bel article.

    Je suis chroniqueuse, et j’avoue (honte) avoir souvent posé la question « et dans la vraie vie, vous faites quoi ? ». Nonnnn, ne me jugez pas, je vous explique (vous me jugerez après) : c’était surtout parce que je sais que le métier d’écrivain fait rarement vivre son homme, sa femme (barrez la mention inutile), sauf à s’appeler JK Rolling, Musso, Levy (ou un nom comme ça). Bref. Donc, rien de méchant, puisque je suis « chroniqueuse-qui-ne-gagne-pas-sa-vie-pour-l’instant-et-qui-fait-autre-chose-dans-la-vraie-vie-pour-manger ». Un jour, il était une fois (nannn, je rigoleeee), bref, un jour et il n’y a pas si longtemps que ça, un illustrateur m’a répliqué « je suis illustrateur dans la vraie vie. Bien évidemment, j’ai un travail « alimentaire », mais mon vrai métier, c’est illustrateur ». Je me suis sentie toute gênée de poser cette question tout le temps, je l’ai remercié de m’avoir expliqué son point de vue, et je me suis engagée à ne plus poser cette question (en tout cas, pas sous cette forme. J’ai bien compris que ce n’était pas plaisant).

    Alors, OUI OUI OUI et encore OUI, votre métier, c’est écrivain ou / et illustrateur, et n’hésitez pas à le dire. Et à dire gentiment « la même chose » à celui qui vous réplique « et dans la vraie vie ? ». Soit il est comme moi, et il ne pense pas à mal (juste que vous avez besoin de sous pour manger), soit, c’est méchant, et dans ce cas, laissez tomber !!!

    Si un jour vous voulez lire mes proses sur les livres, plus privilégiées pour la jeunesse, mais pas que …

    Belle journée et bon courage à tous !!!

  • Merci Virginie, c’est tout à fait cela. Nous faisons le plus beau métier du monde. L’écriture m’a choisie quand
    j’étais enfant, elle ne m’a jamais lâchée et rien ne me procure autant de bonheur que ces personnages qui ont une histoire à raconter et qui ne demandent pas mon avis, seulement mes mains sur le clavier. Si c’est cela être un écrivain, alors j’en suis un…. ou plutôt une.

  • Merci Virginie Begaudeau pour ce très bel article soulevant tant de questions passionnantes. Félicitations pour ce style enlevé, animé d’un sourire à la fois distancié et généreux. J’ai lu ces lignes avec beaucoup d’intérêt parce-que, justement, j’ai toujours rêvé de devenir écrivain un jour… …quand je serai grand.

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